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Tchad : L’enquête française qui fait trembler le régime tchadien, par Fabrice Arfi et Antton Rouget

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Déclenchée après les révélations de Mediapart sur le million d’euros dépensé à Paris par le président tchadien pour l’achat de costumes de luxe, l’enquête du Parquet national financier s’intéresse désormais au patrimoine immobilier de sa famille en France. Celui-ci a été évalué à au moins 30 millions d’euros. Tensions au sommet entre les deux pays.

Son absence n’est pas passée inaperçue, à commencer pour le chef de l’État lui-même. Emmanuel Macron n’a pu que constater, le 15 août à Saint-Raphaël (Var), que son homologue du Tchad, Mahamat Idriss Déby Itno, avait snobé avec soin son invitation à venir assister aux commémorations du 80e anniversaire du débarquement des Alliés en Provence.

Il est vrai que les relations avec le Tchad, qui fut pourtant le premier pays d’Afrique à avoir fait allégeance à De Gaulle après son exil à Londres, ne sont plus au beau fixe depuis plusieurs mois sur fond de dégradation de l’image de la France dans la région du Sahel et de stratégies agressives de Poutine pour rogner l’influence française au profit de la Russie.

Mais il y a une autre raison à ce geste de rancœur inédit. Moins diplomatique, plus personnelle. Le président tchadien, surnommé « Midi », ne décolère pas depuis que le Parquet national financier (PNF) a ouvert en début d’année une enquête préliminaire pour « recel de détournements de fonds publics » suite aux révélations de Mediapart sur ses folles dépenses en France : près de 1 million d’euros versés pour l’achat de costumes chez un tailleur de luxe basé en Seine-et-Marne.

Le président du Tchad, qui a pris les rênes du pays en 2021 après le meurtre de son père, Idriss Déby, lequel avait régné d’une main de fer pendant trois décennies, a manifestement de bonnes raisons de s’inquiéter. Selon de nouvelles informations de Mediapart, non seulement l’enquête du Parquet national financier (PNF) et des policiers de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) a pu confirmer nos précédentes révélations sur les costumes, mais les investigations ont, depuis, été élargies à d’autres faits. Ceux-ci concernent la constitution d’un immense patrimoine immobilier de la famille Déby en France.

D’après un premier chiffrage, les biens acquis depuis le début des années 2000, essentiellement à Paris, Neuilly-sur-Seine et Courbevoie dans le département des Hauts-de-Seine, ainsi que dans le bassin bordelais, dépasseraient les 30 millions d’euros de valeur. Mais ce montant pourrait être revu à la hausse au fil de l’enquête, d’après plusieurs sources judiciaires.

Un pays pauvre, une famille riche

Le Tchad est l’un des pays les plus pauvres au monde. Sur 17 millions d’habitants, quelque 6 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire, 1,7 million d’enfants de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë et 35 % de la population générale vit dans une situation d’« extrême pauvreté » (avec moins de 2,15 dollars par jour), selon la Banque mondiale.

Depuis les révélations de Mediapart sur les costumes du président, la dissonance mise au jour entre la misère du pays et les attributs de richesse de la famille régnante, dont la justice veut également déterminer l’origine, comme elle a l’a fait par le passé avec d’autres autocrates africains (au Gabon, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale…), a suscité des vagues d’indignation dans la communauté tchadienne et chez les opposants au régime.

Dénonçant de son côté un « tapage médiatique […] cousu de fil blanc », Mahamat Idriss Déby Itno avait personnellement réagi à l’affaire des costumes dans une autobiographie publiée en début d’année, De Bédouin à Président (VA éditions). Il y vilipendait un « symbole de manipulation en politique ». « Je ne suis pas adepte des costumes », écrivait-il, mettant en cause les agissements supposés d’un ancien conseiller devenu opposant.

D’après nos informations, l’enquête du PNF a pourtant permis de confirmer, après une perquisition menée chez le tailleur du président tchadien, que les costumes lui étaient bien destinés et qu’ils avaient été conçus sur mesure à sa demande et même, parfois, avec ses initiales.

Comme Mediapart l’a déjà raconté, « Midi » a acquis entre décembre 2021 et mai 2023 57 costumes d’une valeur unitaire allant de 9 000 à 13 000 euros, 100 chemises à 800 euros, huit abacosts à 8 000 euros, neuf sahariennes à 7 500 euros… Les versements, d’un montant total de 915 070 euros, ont été opérés depuis une mystérieuse société baptisée « MHK Full Business » enregistrée à N’Djamena, et disposant d’un compte au sein de la Banque commerciale du Chari (BCC).

Après avoir été à la tête du pays de manière « transitoire », Mahamat Idriss Déby Itno a été élu président du Tchad en mai dernier au terme d’un scrutin dont la sincérité a été remise en question par des ONG. Les élections ont également suscité les réserves de plusieurs chancelleries occidentales, comme le département d’État américain qui s’est dit « préoccupé » par les conditions du vote, évoquant des « lacunes troublantes » et des « préoccupations légitimes concernant sa transparence ».

Pressions en coulisses et tensions diplomatiques

Suite à la révélation en juillet dernier de l’ouverture de l’enquête du PNF par l’Agence France-Presse (AFP), la télévision publique tchadienne, organe de propagande du régime, a diffusé un reportage relayé ensuite sur les réseaux sociaux mettant en cause la justice française qui « sort de son cadre légal […] en dehors de ses prérogatives traditionnelles » et prenant la défense d’un « jeune président […] qui est beau dans son costume ». « Chercher des poux sur une tête rasée est impossible », poursuivait la chaîne nationale.

Mais en coulisses, la réalité est tout autre et la tension palpable. Selon plusieurs sources tchadiennes et françaises, Mahamat Idriss Déby Itno a envoyé ces dernières semaines en France un émissaire, ancien responsable sécuritaire du pays, pour approcher discrètement l’Élysée et tenté d’obtenir l’extinction de l’enquête du PNF. Ce fut peine perdue et la raison, d’après plusieurs observateurs, de l’absence du président tchadien aux commémorations du débarquement en Provence.

Ce type de réaction est comparable à celles des présidents Omar Bongo (Gabon), Teodoro Obiang Nguema (Guinée équatoriale) ou Denis Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville) quand ils ont appris que la justice française enquêtait sur leurs « biens mal acquis » dans l’Hexagone. « La justice française étant une institution, il me semble qu’elle ne peut traiter de façon maladroite des affaires d’État et penser que cela sera sans conséquence », avait par exemple menacé Denis Sassou-Nguesso, dans Paris Match en 2014.

Sur le front diplomatique, les tensions grandissantes avec Mahamat Idriss Déby Itno risquent d’affaiblir un peu plus l’influence française dans la région, alors que le Tchad représente le dernier bastion de la présence militaire au Sahel, après le départ des troupes du Mali, du Burkina Faso et du Niger. D’autant que la Russie, déjà très implantée dans les pays voisins, aurait des visées sur le Tchad.

Sollicitée par l’intermédiaire d’un porte-parole, la présidence tchadienne n’a pas commenté nos informations sur l’avancée de l’enquête.

Par Fabrice Arfi et Antton Rouget & Médiapart

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