Tchad : RSF dénonce le détournement d’une loi américaine comme levier de pression sur les médias
Plagier pour censurer : le premier site d’information du Tchad a été suspendu durant quatre jours et plusieurs médias ont été contraints de retirer des articles, après le détournement ubuesque d’une loi américaine par un ancien conseiller à la présidence. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un acte frauduleux liberticide et appelle les autorités à réagir face à ce type de procédés malhonnêtes flagrants.
Au Tchad, un ancien conseiller à la présidence va jusqu’à faire censurer des médias pour effacer les traces de son limogeage en juillet 2023. Le site d’information Tchadinfos.com, premier média privé du pays, a ainsi été inaccessible du 26 au 29 juillet. L’hébergeur du site, basé aux États-Unis, a suspendu Tchadinfos.com après une plainte pour reprise illégale de contenus déposée par Abakar Manany, homme d’affaires et ancien conseiller à la présidence. Ce dernier demandait à plusieurs médias de supprimer les articles le concernant depuis mars 2024, ce que Tchadinfos avait refusé de faire.
“Abakar Manany a créé un blog où il a copié-collé tous les articles le concernant. Par le biais de son avocat, il a ensuite contacté notre hébergeur, basé aux États-Unis, en avançant que nous avions usurpé le contenu de son blog, ce qui, bien qu’étant faux, a conduit à la suspension de notre site”, explique le directeur général de Tchadinfos, Mamadou Djimtebaye. Le site d’information avait couvert plusieurs actualités liées à Abakar Manany lorsqu’il occupait le poste de conseiller à la présidence, y compris son limogeage.
Abakar Manany s’est ainsi appuyé sur le Digital Millenium Copyright Act (DMCA), une loi américaine adoptée en 1998, qui oblige l’hébergeur à suspendre un site d’information lorsqu’une plainte est déposée, jusqu’au retrait des contenus incriminés ou en cas de preuve contraire.
Quand des hommes politiques ou des hommes d’affaires, comme Abakar Manany, peuvent détourner la loi en utilisant des procédés clairement frauduleux pour censurer des informations factuelles vérifiées et suspendre un média en ligne, nous sommes face à un précédent dangereux. Afin d’effacer toute trace de ses activités politiques antérieures au sommet de l’État tchadien, Abakar Manany, a violé, de manière parfaitement éhontée, le droit à l’information en détournant la loi américaine du Digital Millenium Copyright Act. RSF appelle les autorités tchadiennes à réagir face à l’utilisation d’un tel procédé, aussi malhonnête qu’ubuesque, et à protéger l’exercice libre du journalisme.
Au moins cinq autres médias, Le Pays, Le N’Djam Post, N’Djamena Actu, Tchad One et l’Agence de presse africaine (Apanews) ont reçu des mises en demeure. Tous ont décidé de supprimer les articles en question, afin que leur site ne soit pas bloqué. Le coordinateur de la rédaction d’Apanews, Abdou Khadr Cissé, a également retrouvé un article de l’agence sur le blog d’Abakar Manany, qui a même laissé la signature du média. “Nous avons décidé de mettre en suspens l’article le temps que les Américains vérifient les informations que nous avons transmises”, explique le journaliste.
Des menaces voilées
Le 29 juillet, Abakar Manany a même menacé directement le président de l’Association des médias en ligne du Tchad (AMET), Bello Bakary Mana, lors d’un échange téléphonique. “Il m’a dit qu’il allait faire de mon séjour à l’étranger un enfer, que je vais voir ce dont il est capable”, précise le président de l’AMET, qui avait rapidement soutenu Tchadinfos. Trois jours plus tôt, l’ancien conseiller s’en prenait également à Mamadou Djimtebaye, menaçant de lui “créer tous les soucis du monde”, en commençant par “bloquer son visa” pour l’empêcher d’aller en France, où il se rend régulièrement.
Abakar Manany est devenu conseiller diplomatique auprès du défunt président Idriss Déby Itno en 1993. Interlocuteur clé entre l’Élysée et le pouvoir tchadien dans les années 2000, il rompt sa relation avec le président Déby en 2008. Après la mort du chef d’État en 2021, il retrouve un poste de conseiller chargé des affaires présidentielles – avant d’être écarté en juillet 2023 – auprès du président de la transition, Mahamat Idriss Déby, qui a succédé à son père.
RSF