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Opinion: « il n’y a ni à faire de la communication politique ni de la figuration politique », Djoret

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Depuis quelque temps, la vie politique au Tchad est polluée par une guerre de leadership entre un père et son fils. Dans ce duel qui semble se résumer à « fais-moi de la place – prend si tu peux » les intérêts stratégiques du pays sont sacrifiés : la disparition brutale et jusqu’ici inexpliquée de Marchal Deby a été l’épisode d’une différenciation de stratégie politique, le père préférant s’allier au diable pour former désormais un duo d’enfer avec le fils du diable pour la mise en œuvre d’un plan de succession dynastique téléguidé depuis l’Élysée. Le fils, lui, choisit de continuer sur sa lancée à s’opposer à ce même système.

Depuis lors, le jeu politique est vicié, étant rythmé par l’antagonisme entre un jeune opposant politique et un opposant historique devenu homme du pouvoir qui a imposé son tempo dans le dialogue de Doha, le Deni-de-Sincérité et même dans les tribulations post-Deni-S, refusant obstinément de reconnaitre l’échec en cours de cette transition politique. Aujourd’hui que le fils annonce son retour (sans conditions ?) à la terre natale après les évènements douloureux du 20 octobre 2022, le père brandit la menace d’une sanction, au lieu de l’accueillir les bras ouverts comme un bon père ; au lieu de permettre au fils de tirer les leçons de sa fugue, si fugue il y a eu.

Le chef de gouvernement actuel du fils de Marchal oppose sa vision et sa pratique politique, (une politique qui se résume à faire de la figuration politique au lieu d’un engagement ferme à impacter l’avenir de son pays), à une autre vision politique qu’il qualifie de va-t-en-guerre, de suicidaire, de son fils. Kebzabo Saleh, puisqu’il faut le nommer, résume le drame politique à une opposition entre idéologies de lutte politique. Il va jusqu’à dénier aujourd’hui sa position d’homme d’État pour réclamer d’être toujours chef de l’opposition politique, dans les interviews avec les hommes de média aussi bien que dans des débats sérieux amenés par les partenaires du Tchad. Comme s’il ne lui suffisait pas d’être chef d’un gouvernement d’union nationale.

Obnubilé par une ambition d’occuper le devant de la scène – ad vitam aeternam, Kebzabo est en train de laisser passer une opportunité d’inscrire son nom de la plus belle manière dans l’histoire politique du Tchad. Sourd, muet et aveugle face à la misère du peuple Tchadien et aux alarmes de ses camarades de l’opposition qui l’ont repêché et embarqué dans le vent de la résistance nationale qui s’est levée depuis 2020. Au moment où il déroule le tapis à Mahamat Idriss Deby en avalisant un processus électoral biaisé, un schéma de referendum constitutionnel contraire à la volonté exprimée durant le Dni-s, en apposant sa signature sur des décrets renouvelant l’oligarchie militaire clanique, en continuant à faire avec des gouverneurs et préfets semi-analphabètes, y compris dans sa région natale, en étant incapable de procéder à la restitution des biens à l’ex-opposition politico-militaire, Kebzabo devrait accepter, par sagesse politique, qu’il y ait une opposition, et par conséquent, un principal opposant, à ce gouvernement de la continuité du pouvoir Deby. Surtout après ces évènements tragiques du 20 octobre imputable à une opposition politique de salon parvenu au pouvoir sans gloire après un dialogue de soumission qu’elle a accepté organiser.

Mais hélas, Kebzabo n’est pas seul dans cette myopie politique si l’on compte tous ceux qui aujourd’hui se frottent les mains durant cette transition devenue affaire. A la présidence des Itnos, à la tête de certains ministères clés, comme celui de la justice, de l’agriculture, trônent des figurants politiques incapables individuellement d’imprimer un souffle nouveau mais enfermés dans des égos démesurés pour se rendre compte qu’ils sont en masse critique dans cet appareil d’État pour opposer une résistance, au nom du peuple Tchadien au déroulement de ce plan de succession dynastique. En cela je loue le courage de mes camarades ex-activistes qui ont fait récemment une sortie médiatique pour fustiger cette transition politique, même si certains étaient mus par la déception de ne tirer leur épingle du jeu politique dans lequel ils se sont embarqués, sur injonction de Paris.

Ainsi donc va la vie politique au Tchad, mon pays. Ainsi donc, l’avenir de mon pays est sacrifié sur l’hôtel de combat de politiciens montés sur leurs ergots en lieu et place d’une résistance à un système de prévarication des ressources, d’injustice et d’exclusion. Il y a quelques temps, il était suggéré par un penseur de la transmission dynastique du pouvoir de laisser Succès et Kaka discuter entre jeunes pour trouver une solution au problème du Tchad. On sait ce qu’il en est advenu de ce dialogue à deux. On serait peut-être tenté de dire à Succès d’aller s’humilier devant son père Kebzabo pour pouvoir rentrer au bercail et entrer définitivement dans les rangs d’une classe politique habituée à des compromissions et à la servilité face à des maitres.

Mais une voix me souffle qu’il y a une autre issue, celle de poursuivre la résistance citoyenne sur le terrain. Oui, l’histoire récente nous enseigne que rien n’arrête une jeunesse africaine désormais unie, ni la volonté naturelle de perpétuer des systèmes politiques hérités, ni la volonté d’une oligarchie politique de s’imposer sur l’échiquier politique ad vitam aeternam. Kebzabo devrait surtout tirer les enseignements de ses amis de l’opposition socialiste parvenus au pouvoir en Afrique et qui ont été balayés les uns après les autres par des vents impétueux d’une Afrique « qui repousse, qui repousse patiemment obstinément, et dont les fruits ont peu à peu l’amère saveur de la liberté ». Oui, au cœur de cette Afrique qui repousse, le Tchad se réveille, il se redresse fièrement, en quête de sa dignité, il se réveille dans le sang certes, comme celui versé le 20 octobre 2022 par les gouvernants, mais il continuera à se relever vaille que vaille, à battre au rythme de l’Afrique, à se battre avec courage, avec ou sans communiquant politique, avec ou sans hommes d’affaires politiques.

Oui, la sagesse africaine nous enseigne que les pères ouvrent leurs bras pour recevoir les fils qui rentrent à la maison. Oui, quand un père affronte un fils, l’avenir de la lignée est en danger. Oui, la nouvelle génération est appelée à prendre la place de l’ancienne et Kebzabo devrait désormais s’attendre à ce que face à lui se dressent non pas un fils mais une nouvelle génération d’hommes politiques.

A lui de trouver la sagesse politique de gérer cette situation.

Djoret

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